rhétorique_de_la_caricature
2. la caricature

Sans aucun doute, la caricature est le genre de dessin qui souffre le plus d'une situation assez paradoxale et injuste. D'un côté, elle bénéficie d'un publique remarquablement large et varié, et d'une consommation particulière de la part de la presse écrite si bien que les journaux ont presque tous leurs dessinateurs attitrés et certaines revue même sont exclusivement réservées à ce type de dessin. D'un autre, elle subit les inconvénients de préjugés bien établis: bon nombre de gens tiennent encore le dessin caricatural pour un simple moyen de distraction; et d'une certaine négligence, surtout du côté des personnes directement concernées: les publications faisant de la caricature un objet de réflexion sont rares et les définitions qu'un dictionnaire peut nous offrir sont généralement superficielles et insuffisantes.

Sans avoir la prétention, ni même l'ambition, de proposer ici une définition exhaustive et complète de la caricature, nous essaierons de réfléchir sur les critères auxquels l'on se réfère habituellement pour définir le dessin caricatural et sur leur pertinence; nous essaierons également de réfléchir sur les éléments d'une éventuelle définition qui serait, pour le moins, satisfaisante.

2.1. historique

La caricature, du verbe italien 'caricare', qui signifie "charger", remonte déjà à l'Antiquité; mais "il ne semble pas, toutefois, que [à cette époque et jusqu'à Gutenberg] cet art ait été autre chose qu'une activité occasionnelle" (Encyclopædia Universalis).

C'est généralement vers la fin du XVI° siècle que l'on situe "l'éclosion de la caricature en tant qu'expression indépendante" (idem.), et c'est la découverte de l'imprimerie, au XV° siècle, qui a décidé de cette éclosion.

L'imprimerie donc, mais aussi et particulièrement la lithographie en 1796 et la photogravure en 1841 (ce sont des techniques de reproduction des dessins) ont profondément modifié les conditions matérielles de la diffusion des images caricaturales. Les caricaturistes leur doivent beaucoup.

2.2. définition "traditionnelle"

Presque toutes les définitions du dessin caricatural que nous avons rencontrées s'accordent pour présenter le caricaturiste comme un "professionnel de la déformation" (idem.) et l'exagération comme une dimension fondamentale et nécessaire au fondement même de son art. Cette conception de l'art graphique remonte déjà à la Renaissance. En effet, à cette époque "le bien trouve sa justification dans une réussite morphologique. Il faut que coïncident les idées de beau et de bien pour que naisse leur antithèse: la caricature" (idem.).

Donc, "ce n'est que lorsque l'esprit de satire coïncide avec la laideur physique que s'accomplit la synthèse de ce que nous appelons aujourd'hui la caricature" (idem.). De ce fait, la caricature apparaît comme "l'expression la plus évidente de la satire" (idem.).Avec l'art moderne et la psychologie, "les frontières qui séparaient le beau du laid, le bien du mal, se sont peu à peu effacées" (idem.).

C'est alors que, généralement, les définitions distinguent deux types de caricature: le portrait en charge et la caricature de situation; le premier "utilise la déformation physique comme métaphore d'une idée (portrait politique, par exemple) ou se limite à l'exagération des caractères physiques (portrait d'artistes, par exemple)" (idem.). Le second présente "des événements, réels ou imaginaires, mettant en relief les mœurs ou le comportement de certains groupes humains" (idem.).

La caricature serait donc une "image tendant, par déformation ou accentuation des traits d'un modèle, des caractères d'une scène, à les rendre grotesques ou risibles" (La Grande Encyclopédie Larousse).

2.3. remarques critiques

Une première constatation qu'un consommateur d'images peut faire c'est la facilité pour lui d'identifier une image caricaturale. Or cette identification n'est pas toujours aussi aisée qu'il pourrait le croire. Selon toute apparence, le dessin caricatural résiste à une définition et à une délimitation exhaustives et satisfaisantes. C'est ainsi que nous avons pu enregistrer un certain nombre de remarques à propos de notre définition traditionnelle:

i. elle fait de la déformation un critère définitionnel de l'image caricaturale, une condition sine qua non à son existence. Or si ce critère peut rendre compte d'une grande part des productions caricaturales, exemple: les dessin 05 et dessin 06, il n'en reste pas moins difficile d'en confirmer l'efficacité et la généralité, exemple: le dessin 07 et, encore plus, le dessin 08 qui reproduit avec une fidélité remarquable la réalité.

Toutefois, nous pensons que cette définition de la caricature en termes de déformation rejoint et appuie notre hypothèse: définir la caricature par son niveau signifiant. Cependant, la définition traditionnelle manque nettement de rigueur dans sa formulation de ce critère.D'ailleurs, à partir de quel "degré" peut-on affirmer l'existence d'une déformation, sans oublier, naturellement, que l'on a affaire à du dessin et non à de la photographie?

La définition traditionnelle ne s'est pas intéressée uniquement au niveau iconique de la caricature, elle l'a complété (en réalité elle l'a confondu) par d'autres critères rejoignant par là la traditionnelle dichotomie de forme/contenu.

ii. "L'humour, comme la caricature, peut être burlesque, satirique, moqueur, ironique, vengeur, fantastique, libertin, moralisateur…" (La Grande Encyclopédie Larousse).

Partant de cette énumération thématique (interminable), nous avons l'impression que la définition ne manifeste aucun souci d'induction et de généralisation de façon à rendre compte de la créativité des caricaturistes.

D'ailleurs, sans parler de la difficulté de classifier les "contenus" ou les thèmes dont use le dessin caricatural, nous ne voyons pas quelle serait l'utilité d'une telle classification, même si on arrivait à l'effectuer, sachant bien qu'une définition de la caricature doit être de l'ordre du signifiant et non du signifié (Greimas). Quant à l'exagération de ces "contenus", nous pouvons reprendre notre question de tout à l'heure (à propos de la déformation) et nous interroger sur les frontières de cette exagération, d'autant plus que la définition fait intervenir le concept imprécis d'imagination.

iii. Parfois, et toujours dans le cadre de ce type de définition, il arrive que l'on mentionne le rapport entre caricature et un autre genre de dessin qu'est la BD. Ce rapprochement s'est imposé à nous également du fait de l'existence de caricatures qui se démarquent par leur "étendue", i.e. qu'elles ne se limitent pas à une seule image; exemple: le dessin 06 et plus particulièrement le dessin 09 qui a toutes les apparences d'une BD.

Pratiquement, les informations que l'on propose habituellement concernant ce rapport peuvent se réduire à ce renseignement: "en cherchant dans l'image caricaturale l'équivalent du récit édifiant sur un mode humoristique, Töpffer a été l'ancêtre de la BD." (Encyclopædia Universalis).

La différence entre les deux genres serait alors de l'ordre du quantitatif. Cette conception nous rappelle la distinction que la critique traditionnelle faisait entre la nouvelle et le roman (un roman est plus long qu'une nouvelle) et que, finalement, le structuralisme a infirmée en démontrant qu'elle ne peut être que structurellement basée. D'ailleurs, quelle serait la ligne de démarcation qui garantirait le passage de la caricature à la BD?

L'opposition caricature/BD mérite donc d'être explicitée: elle sera fort utile à une meilleure compréhension du dessin caricatural (et de la BD également).

iv. La définition traditionnelle aura certainement des difficultés à défendre ses critères en présence du dessin 10. Elle insistera sans doute sur l'absence d'humour et sur l'investissement pour un but publicitaire, et ne tardera pas à faire le rapprochement entre les deux, justifiant l'un par l'autre. Or rien ne prouve cette incompatibilité, exemple: le dessin 11.

L'explication qui rendra compte du dessin 10 est à chercher ailleurs, plus précisément dans le rapport image-texte (légende), rapport qui, sans être déterminant (la caricature peut s'en passer) est d'une utilité évidente. Malheureusement, le type de définition que nous critiquons ne fait aucune mention de ce rapport qui mérite, en revanche, d'être largement considéré et explicité.

2.4. image-texte

En iconologie, une recherche qui se veut ambitieuse et exhaustive ne peut faire l'économie d'une réflexion sur la dialectique de l'analogue et du digital, ne serait-ce qu'à titre de supplément d'information, d'autant plus que le message linguistique est, presque toujours, présent dans les images.

Barthes (1964), après s'être interrogé sur les fonctions du texte linguistique par rapport au message iconique, en distingue deux: une fonction d'ancrage et une autre de relais : ''l'ancrage est la fonction la plus fréquente du message linguistique; on la retrouve communément dans la photographie de presse et la publicité (p.45). "Dans tous [les] cas d'ancrage, le langage a évidemment une fonction d'élucidation, mais cette élucidation est sélective; il s'agit d'un métalangage appliqué non à la totalité du message iconique mais seulement à certains de ses signes" (p.44). Bref, cette fonction assure la "stabilité sémantique" de l'image.

"La fonction de relais est plus rare (du moins en ce qui concerne l'image fixe); on la retrouve surtout dans [le dessin caricatural] et les bandes dessinées. Ici la parole (le plus souvent un morceau de dialogue) et l'image sont dans un rapport complémentaire" (p.45), i.e. que le texte (légende) apporte "l'information complémentaire sans laquelle [l'image] demeure dans une polysémie sans fond ou un inachèvement total".

Et Barthes de formuler ainsi son hypothèse (cf. 1.2) qui "perpétue [une certaine] suprématie divine du textuel sur l'iconique" [3] et, partant, arrive à considérer l'image sans parole comme un cas paradoxal [4].

Ayant déjà rejeté l'hypothèse barthésienne, il nous faut, cependant, proposer d'autres arguments pour justifier la coexistence de l'analogue et du digital dans un même message de façon à rendre compte des deux fonctions du textuel dans l'image. Et c'est du côté de l'affirmation selon laquelle tout système de signification, y compris le langage articulé, a ses limites, qu'il faut chercher les secrets de cette coexistence. Nous pouvons déjà (?) conclure que le linguistique est présent dans une image pour compenser les limites de l'iconique. Cette compensation se réalise par l'ancrage ou le relais: "Les deux fonctions du message linguistique peuvent évidemment coexister dans un même message iconique, mais la dominance de l'un ou de l'autre n'est certainement pas indifférente à l'économie générale de l'œuvre" (p.45).

Ainsi, si nous considérons le dessin 10, nous pouvons constater que le texte est particulièrement marqué par une forte redondance de l'information déjà transmise par le message iconique. Nous pouvons à la limite courir le risque de faire le rapprochement entre la restriction de probabilité d'occurrence et le "texte caricatural": celle-là serait une propriété de celui-ci.
[3] “L’avant-propos” de Langages 75, 1984, Paris, Larousse, p.5.
[4] "limage sans parole se rencontre sans doute, mais à titre paradoxal, dans certains dessins humoristiques" (Barthes 1964, p.43).
sommaire | 0. introduction | 1. image | 3. rhétorique de la caricature | 4. conclusion

© elmdari 1987